"Conversation avec" Sébastien Radouan

Sébastien Radouan

Sébastien Radouan est historien, Maitre de conférence dans le champs Histoire et Cultures Architecturales au sein de l'ENSA Paris-La Villette et membre du laboratoire AHTTEP. Docteur en Histoire de l'art, sa thèse portait sur la rénovation du centre-ville de Saint-Denis. Ses travaux de recherche et enseignements traitent du logement social des XIXe et XXe siècle en Europe et Amérique du Nord.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Sébastien Radouan, maître de conférences associé en Histoire et Cultures Architecturales à l’ENSA Paris-La Villette depuis 2019, et à l’ENSA Nantes auparavant. Je suis chercheur-associé à l’équipe AHTEPP du laboratoire AUSSER, et en contrat postdoctoral au Centre d’Histoire Sociale de l’Université Paris 1.

De quels sujets et problématiques traitent vos enseignements ?

J’enseigne l’histoire du logement social à l’ENSA Nantes depuis 2016. C’est à travers ce cours magistral que j’ai commencé à construire ma pédagogie sur le sujet. Cet enseignement avait été mis en place par Marie-Paule Halgand et conçu, dès l’origine, en collaboration avec l’enseignement SHS, donc sur l’histoire et la sociologie du logement social, repris en 2020 par Amélie Nicolas. Parallèlement, à l’ENSA Nantes, j’intervenais en Master dans un atelier de projet appelé « (Re)construction Fifty/Fifty » qui s’inscrit dans le DE « Inventer dans l’existant ». Cet enseignement de projet porte sur la réhabilitation/rénovation des grands ensembles, avec Louis Guedj et Mathieu Germond, enseignants TPCAU, mais également Benoît Boris, enseignant STA.

En 2020, j’ai eu la possibilité en master à La Villette de reconsidérer mon cours magistral sur l’histoire du logement social sous l’angle de l’histoire environnementale, en lien avec mes recherches. Cet enseignement de master à La Villette est un lieu expérimental de la pédagogie, où je suis en situation d’inventer de nouveaux contenus et modes d’évaluation. Il y a une grande liberté offerte par l’école, et c’est à partir de ce cours que j’ai pu développer avec les étudiants une histoire du logement social intégrant la question environnementale.  

En 2022 je fais évoluer l’évaluation de ce cours de manière à associer étroitement les étudiants à la réflexion et la recherche sur le sujet, tout en réduisant leur temps de travail personnel, car ils sont déjà surchargés en master. De par le sujet et la pédagogie, mon enseignement est, en master, complémentaire de plusieurs séminaires de mémoire et ateliers de projet. D’ailleurs, cette année j’enseigne aussi à l’ENSA de Paris-La Villette dans le séminaire de recherche « Architecture de l’habitat : histoire, processus, spatialités ». Un travail collaboratif est en cours avec des enseignants TPCAU (Juliette Pommier et Victoria Pignot), pour élaborer une méthodologie croisée, mettant à profit les savoirs de l’analyse architecturale et l’histoire.

Mes enseignements sur le logement en ENSA sont donc variés dans leurs approches et objectifs ; ils permettent d’envisager une pédagogie complète sur le sujet.

Vous oscillez entre enseignement du logement et de l’habitat : pouvez-vous revenir sur ce choix ?

Logement et habitat. C’est toujours un questionnement : qu’est-ce qui fait la différence, la particularité de chacun de ces termes, avec cette nécessité d’analyse sémantique des choses. Je m’appuie pour cela sur un ouvrage, Logement et habitat : l’état des savoirs (1998), dans lequel il y a une définition qui est proposée de la notion de logement et d’habitat. Ce que je retiens pour le terme d’habitat, c’est qu’il envisage le rapport entre le logement et son environnement. La notion d’habitat, « accolée à la première [le logement] permet souvent d’en élargir et enrichir le contenu ». Ce qui est le cas dans le développement de ma pédagogie sur le logement social.

Ensuite, pour une définition du logement social, complémentaire de celle de l’habitat, je m’appuie sur l’ouvrage Loger le peuple, essai sur l’histoire du logement social de Jean-Paul Flamand (1989) : « Le logement qui a bénéficié pour sa réalisation du concours législatif et financier de l’État, et qui est destiné à recevoir dans des conditions normales les couches les moins favorisées de la population ».

Pouvez-vous expliciter votre posture vis-à-vis de l’enseignement de l’histoire de l’architecture ?

Un point d’historiographie. Tout d’abord, l’historiographie c’est aussi comment on écrit l’histoire, Nous pouvons dire : au commencement était la source. C’est-à-dire que, en tant qu’historiens – je suis historien et non architecte – la source est la donnée première et primaire de l’étude, pièces à conviction dans la construction du récit. Les sources peuvent être écrites, orales, graphiques et bâties bien sûr, comme il s’agit d’architecture, et sont les traces d’un passé, témoins d’un lieu, que le récit donnera à comprendre et à voir dans son contexte, mais depuis un présent que nous assumons. En comprenant qu’il analyse depuis son présent, l’étudiant prend conscience que le regard sur les choses et le monde évolue d’une époque à l’autre, renforçant ainsi l’acuité de son analyse et de son questionnement. Les méthodes de l’histoire l’aident à construire un discours critique et argumenté par la preuve, méthodes qu’il peut aussi mobiliser dans la présentation de son projet en atelier. Bien sûr, je vais aussi parler d’évaluation puisqu’elle est à l’articulation des contenus et objectifs pédagogiques.

Mon enseignement et mes recherches en histoire de l’architecture intègrent plusieurs dimensions. Un point d’historiographie. Voici trois citations d’auteurs qui m’ont nourri, et continuent d’alimenter mon travail d’expérimentation, notamment avec l’enseignement du logement social. Tout d’abord, Gérard Monnier, qui était enseignant à Paris 1, que je n’ai pas eu comme directeur de recherche, mais sur lequel je me suis beaucoup appuyé pour construire ma pédagogie et ma recherche. Il souligne que « l’histoire de l’architecture est en relation avec les variations de la demande sociale » (Monnier, 1997). Monnier travaille sur la commande et le rapport entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Ensuite, cette phrase de Patrick Boucheron, historien bien connu qui, par ses mots, donne une légitimité et une confiance à l’histoire pour s’ouvrir et se repenser, notamment en intégrant les différentes dimensions et problématiques de l’architecture en lien avec la question du présent : « Non pas envisager le passé comme un point fixe, que l’on s’efforce de connaître en se rapprochant de lui à tâtons mais se persuader qu’il n’y a d’histoire que depuis l’actualité du présent » (Boucheron, 2011). Enfin, un auteur que j’ai découvert assez récemment, mais qui a donné des fondements, un cadrage que je suis encore en train de prospecter dans le cadre de mes propres activités de recherche, c’est William Cronon, un historien américain, un des pionniers de l’histoire environnementale, qui dit « l’histoire n’est pas seulement humaine mais concerne la terre elle-même » (Cronon, 1992).

Comment articulez-vous enseignement de l’histoire de l’architecture et actualité de la production architecturale ?

J’y répondrais sous forme de questions : comment l’enseignement de l’histoire du logement social se renouvèle au regard des enjeux contemporains ? Et comme sous-question, avec la dimension de la pluridisciplinarité : comment les interventions en atelier de projet alimentent les contenus pédagogiques du cours magistral en HCA et inversement ? Regardons en détail comment j’y réponds à travers mes enseignements et comment ces derniers se construisent les uns par rapport aux autres, par étapes.

Le premier c’est l’enseignement à l’ENSA Nantes, que je mène depuis 2016, sur l’histoire du logement social, avec en sous-titre : « un laboratoire architectural et urbain ». Ici, les politiques publiques du logement social constituent le cœur et le cadre de ma proposition. C’est la question de la commande et du contexte dans lequel se fait, se conçoit et se réalise l’architecture du logement. Les politiques publiques sont au cœur de l’histoire du logement social. Cette réflexion concerne la France, avec des ouvertures sur le logement social en Europe. La problématique de ce cours, qui renvoie à l’ouvrage de Flamand, Loger le peuple, envisage le logement social comme politique publique, cherchant à rééquilibrer ou organiser les disparités et inégalités de la société capitaliste. Cette question est continue et permanente depuis le XIXe siècle, avec l’émergence et l’affirmation de la société libérale, qui entérine ces inégalités. Le logement social est un lieu où s’invente la société. C’est un laboratoire dont les orientations sont expérimentales et normatives. A travers le logement social, les pouvoirs publics inventent de nouvelles formes d’habitat, en quête du « bon logement ».

Cette orientation est aussi normative, puisque le logement social a pour vocation de produire des normes qui agissent en retour sur le marché du logement, définissant ainsi ce qu’est le « bon logement ».

Le logement social est donc un lieu où, par l’architecture et l’urbain, s’invente, se pense, se fait le logement en France. Dès lors, il s’agit de voir ce qui se joue dans les rapports sociaux, économiques, dans la conception des espaces, des implications constructives, etc. C’est pourquoi je défends un enseignement sur l’histoire de l’architecture du logement social donnant à voir les changements dans la société.

La troisième dimension abordée dans ce cours repose sur les échelles du logement : des intérieurs domestiques à la ville, en passant par les espaces intermédiaires. A travers cet objectif, on voit que l’on dépasse la question du logement stricto sensu pour l’inscrire dans l’habitat, une question qui est déjà environnementale. C’est aussi l’idée d’envisager les espaces de l’architecture, de l’intime au collectif, comme lieu social et politique, où l’architecte est attendu ou contraint. Chaque espace génère un type de relations à soi-même, mais aussi aux autres, témoignant des possibles et des peurs d’une époque. Ce cours interroge plus généralement la place et le rôle de l’architecte dans les politiques publiques. Est-ce qu’il subit la norme, est-ce que lui-même fabrique la norme ? L’architecte traduit des politiques mais les inspire aussi.

Vous évoquiez l’importance de l’évaluation : pouvez-vous détailler cette réflexion ?

Je n’ai pas développé un type d’évaluation spécifique à la question du logement. Par ses contenus et problématiques, l’évaluation prend en compte les particularités du logement, mais les attendus sont valables pour l’architecture et l’urbain de manière générale. De ce fait, une chose très importante pour moi c’est la consigne de l’examen, qui s’apparente à une méthode, présentée en amont, avec un barème, pour leur permettre de gérer leur temps. Elle est en outre assimilée par les étudiants au cours du semestre avec un rendu intermédiaire.

L’analyse s’appuie sur une planche iconographique (plans, photographies, etc.) et mobilise les connaissances acquises en cours. Le référencement des documents est important. Il s’agit d’être attentif au moment où ils ont été produits, leur support, qui en est l’auteur, leur mode de diffusion, etc. L’exercice repose sur la mise en relation des documents, à partir de laquelle une problématique peut être tirée et développée. Cet exercice a été repris à Nantes avec l’enseignante de SHS à partir de sources audiovisuelles permettant de croiser l’approche historique et sociologique sur le logement social.

Comment mobiliser l’histoire du logement et répondre aux attentes des étudiants ?

En enseignant en atelier de projet, aux côtés de Louis Guedj et Mathieu Germond (TPCAU), nous prenons conscience de l’actualité du logement, de ses enjeux aujourd’hui et demain.  

Tout d’abord parce que les intuitions développées par les étudiants à travers leurs projets nous renvoient à leurs questionnements, qui sont aussi ceux d’une génération.

Ensuite, il y a la volonté de matérialiser ces enjeux. Par rapport à la commande, en donnant les chiffres de l’Union Sociale de l’Habitat (USH), on constate qu’en 2019 on a construit 80 000 logements sociaux neufs – qui est une part non négligeable de la production de logements en France – et 150 000 logements ont été réhabilités. Ce mode d’intervention, la réhabilitation, tend, pour des raisons patrimoniales et écologiques, à grandir et à occuper une part importante de l’activité pour les architectes. Il faut aussi mettre ces éléments en lien avec le chiffre suivant : 4,6 millions de logements sociaux en France en 2019, dont 31% seulement ont été construits après 1990. Cela montre le défi à relever sur les questions de rénovation du parc social. Comment est-ce que je peux les aider à se positionner ?

D’autre part, quelles sont les orientations des politiques publiques aujourd’hui pour le logement ? Je vais par exemple mettre cela en discussion avec le rapport Lemas, remis en 2020, sur la qualité des logements sociaux, et qui s’attarde sur l’environnement. C’est un terme qui demande à être défini et détaillé, mais c’est bien cet enjeu d’environnement qui est important, où le logement n’est plus quelque chose d’abstrait ou d’isolé, mais quelque chose qui se pense à plusieurs échelles et avec la nature.  Au regard de ces questions, il est intéressant de voir comment mon cours magistral sur l’histoire du logement social évolue, en intégrant la dimension environnementale.

Quels sont vos apports plus spécifiques dans le cadre de cet atelier de projet ?

Mes interventions dans l’atelier de projet « (Re)construction Fifty/Fifty » sont variées. Je vais revenir sur deux modes d’intervention en particulier. Tout d’abord mon intervention en jury. Il y avait trois jurys dans cet atelier de projet : diagnostic, intermédiaire, final, qui correspondent à un moment de discussion avec les enseignants et de construction de la pensée du projet. La particularité est que cet atelier se fait en partenariat avec Nantes Métropole Habitat, qui propose des sites de projet. Plusieurs représentants du bailleur social sont présents durant les jurys. Une question que j’ai retenue, par exemple, c’est : comment eux, maître d’ouvrage et gestionnaires, reçoivent les projets des étudiants ? Au semestre dernier, il y avait, par exemple, cette idée de la mixité des foyers. Comment sortir, puisque les sites mobilisés sont pour la plupart des grands ensembles, des typologies normées et répétitives pour retravailler une diversité de typologies qui renvoie aussi à une mixité en termes de foyers et de ménages. Une mixité qui aurait une valeur pas seulement sociale, mais aussi inclusive au sein d’un même immeuble, imaginer par exemple si des solidarités et une économie entre retraités et étudiants peuvent se créer, et à quelle échelle ? Cet enjeu, je lui apporte un intérêt particulier dans mon cours magistral sur l’histoire du logement, où l’élaboration des typologies et leur assemblage, caractéristique de l’histoire du logement moderne, est un fil continu et la recherche de mixité à travers la réhabilitation des grands ensembles est déjà un objectif dans les années 1980.

Le deuxième mode d’intervention, c’est le co-encadrement du rapport de présentation de PFE où nous travaillons, avec les enseignants TPCAU, à la construction d’un positionnement théorique par rapport à leur projet. Il s’agit d’abord d’identifier avec les étudiants des thématiques par rapport à leur projet. De nombreux thèmes, j’ai constaté, sont présents dans une publication de Monique Eleb et Philippe Simon sur le logement contemporain (Entre confort, désir et normes : le logement contemporain, 2012). J’ai été frappé de voir que ce qu’elle a réussi à faire émerger et à synthétiser, en tout cas à percevoir, dans les enjeux du logement contemporain, et que l’on retrouve dans les thèmes qui alimentent les travaux des étudiants aujourd’hui : dispositifs partagés de l’habitat, variations sur la distribution du logement, assemblage des cellules, attention portée aux orientations, aux vues et à l’éclairement des pièces, notamment avec le dispositif de la fenêtre.

Comment cela se traduit-il dans les travaux étudiants ?

L’histoire de l’architecture est d’abord mise à contribution en tant que corpus de références typo-morphologiques et bibliographiques, à la fois matière et outil critique de la théorie architecturale. Avec cette démarche, on met en perspective le travail des étudiants et les thèmes qui les intéressent avec des enjeux qui ont également traversé l’histoire, notamment du logement social. On peut ainsi voir à quel type d’architecture, à quelle opération dans l’histoire cela peut renvoyer, donc comment cette question a pu être envisagée ? Dans quel contexte ? Pour quelles raisons cela a-t-il été investi, sous quel angle, quelle formulation ?

Dans quelle mesure vos recherches et la pédagogie que vous mettez en œuvre s’alimentent mutuellement ?

Je mène actuellement une recherche sur une cité à Aubervilliers qui a été réhabilitée dans les années 1980. Les politiques publiques de la ville des années 1980, et ce que l’on appelle aussi la réforme du logement de 1977, sont généralement absentes de l’histoire de l’architecture du logement social aujourd’hui en termes de recherche. Pourtant, à bien des égards, ces éléments méritent notre attention, notamment du fait que la réhabilitation constitue un enjeu actuel important. On a l’impression parfois aujourd’hui d’innover, or il y a déjà eu une expérimentation architecturale et urbaine en termes de réhabilitation, qui pouvait être participative dans ces années-là.

Avec l’enseignement du projet à Nantes, je suis confronté aux questionnements des étudiants et de la maîtrise d’ouvrage en matière de logement, à l’actualité, en somme, du logement social. Cela m’amène à repenser et refonder mon cours magistral, que j’ai reformulé « Histoire sociale et environnementale du logement », à travers des objectifs et contenus qui abordent le logement sous le paradigme environnemental. La question environnementale demeure dans l’histoire du logement social, ne serait-ce qu’à travers la recherche d’économie, par définition frugale et pragmatique. L’histoire environnementale permet d’enrichir l’approche initiale, en faisant un pas de côté. Des recherches engagées ses vingt dernières années dans le champ de l’architecture et du paysage comme ceux, par exemple, de Franz Graf ou Bernadette Blanchon, renouvellent les objets d’étude. L’histoire environnementale selon William Cronon aux États-Unis, Jean-Baptiste Fressoz ou Grégory Quenet en France, apporte un cadre et des fondements historiographiques

A quels exemples d’opérations ou de productions architecturales faites-vous référence ?

Parmi les expérimentations illustrant des préoccupations énergétiques et architecturales, on peut penser dans les années 1980 aux maisons solaires ou à la réhabilitation des grands ensembles.

On peut aussi penser à des expérimentations faites dans l’histoire et qui soulèvent des enjeux liés à l’environnement. On relève, par exemple, les recherches faites sur l’habitat évolutif entre 1966 et 1977, par exemple avec Georges Maurios, qui peuvent renvoyées aujourd’hui à la problématique de la réversibilité. Si on regarde du côté de l’habitat intermédiaire, ou comment concevoir la densité tout en favorisant le rapport à la nature, on peut penser aux travaux de Renée Gailhoustet et de Jean Renaudie avec le jardin-terrasse qui met en relation le locataire ou le propriétaire avec la végétation, etc. Par rapport aux groupes méditerranéens des CIAM, on peut aussi faire référence au travail de Georges Candilis au Maroc, en prenant en compte les aspects climatiques et culturels dans l’architecture moderne.

Dans ce cas, quels sont les outils que les étudiant.es mobilisent pour analyser ces références ?

Sur l’évaluation de cet enseignement, je fais travailler les étudiants en groupes pour des études monographiques. Je demande notamment aux étudiants un travail de redessin pour explorer les problématiques environnementales. Impliquant, en amont, une étude critique et croisée des sources, le redessin est un outil de la recherche qui a l’intérêt de mettre à contribution les savoir-faire graphiques acquis par les étudiants au cours de leurs études en école d’architecture. Voyons par exemple cette opération de maisons solaires à Villepinte construites dans les années 1980 par l’office d’habitation départemental de la Seine-Saint-Denis et l’architecte Paul Phelouzat. On voit comment en redessinant, en montrant la trajectoire du soleil et la manière dont la lumière pénètre dans le logement, on met en évidence le fonctionnement du logement. Il s’agit ainsi de comprendre comment fonctionne la serre et le système de ventilation de ces maisons solaires passives, et comment est exposé le logement par rapport au soleil pour retenir la chaleur. C’est un travail de redessin qui s’est avéré très utile pour comprendre la démarche de l’architecte, que les étudiants ont complétée en la confrontant au vécu et à la pratique des habitants à travers des entretiens.  

Un mot pour conclure ?

En conclusion : il s’agit, en proposant une histoire sociale et environnementale, de fonder une histoire de l’habitat. Il y a un point de vigilance : je refuse d’être dans une posture téléologique de l’histoire, c’est-à-dire qui envisage notre présent comme l’aboutissement d’un processus historique, faisant peu de cas de la complexité et de la spécificité d’une époque. Ne pas être téléologique c’est aussi ne pas être anachronique, en écrasant le passé et le réel avec des concepts qui nous appartiennent aujourd’hui. C’est un apport de l’histoire. Histoire et théorie de l’architecture sont deux choses différentes, sur le plan méthodologique et épistémologique, et en même temps elles s’alimentent l’une l’autre. Je ne vais pas faire de théorie architecturale, qui appartient aux architectes, mais de l’histoire de la théorie. Cette distinction contribue à démystifier l’architecture. Je suis convaincu qu’elle renforce l’esprit critique des étudiants et la qualité de leur proposition.

Le dernier enjeu est le décloisonnement des disciplines. J’espère, à travers cet entretien, avoir démontré tout l’intérêt de l’histoire pour l’enseignement du projet d’architecture, et inversement comment ce dernier alimente la recherche et l’enseignement en histoire. A travers cet entretien, je voulais aussi montrer comment l’enseignement du projet participe au renouvellement des disciplines dites connexes en école d’architecture et ainsi reconnaître leur autonomie en tant que champs disciplinaires. Il s’agit d’envisager l’architecture dans sa complexité, ce que permettent les écoles à travers les enseignements pluridisciplinaires.

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